Page:Monod - Portraits et Souvenirs, 1897.djvu/40

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humain. Ce ne sont point des marbres et des bronzes peints comme les héros de Leconte de Lisle, ce sont des hommes grandis et exaltés. La simplicité même des pensées de Victor Hugo, ce que ses détracteurs ont appelé sa banalité, le don merveilleux, qu’il a possédé presque seul de notre temps, de rendre, par l’éclat du style et de l’imagination, la nouveauté et l’originalité aux grands sentiments fondamentaux de l’humanité, ont fait pénétrer la poésie dans beaucoup d’âmes qui ne la goûtent pas d’ordinaire. Par là il a mérité cette popularité qu’il aimait et recherchait trop, et qu’il a acquise, entre tous les écrivains qui aient jamais vécu, à un degré peut-être unique.

Victor Hugo a donc beaucoup donné à son siècle, et il en a été la plus éclatante représentation. On a dit quelque fois qu’il était un phénomène isolé, qu’il ne représentait pas le génie français, fait de mesure, d’esprit, de grâce et d’harmonie, ennemi de la déclamation et du mauvais goût. On pourrait discuter si cette définition de l’esprit français est aussi rigoureusement exacte qu’on le croit quelquefois. Elle ne s’applique guère à l’épopée du Moyen âge ; la déclamation a toujours été un défaut français ; on le trouve chez d’Aubigné comme chez Corneille, chez Crébillon comme chez Diderot ; le mauvais goût abonde au xvie siècle et dans toute la première moitié du xviie. Mais, en outre, la France démocratique du xixe siècle n’est plus l’ancienne France ; elle a changé d’âme en littérature comme en poli-