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SA VIE, SON ŒUVRE

il raclait avec des dispositions réelles. Dans ses jours de bonne humeur, lorsque les vins fins avaient circulé à sa satisfaction, il allait chercher dans une armoire la boîte où reposait le mystérieux instrument.

» — Allons, bon ! murmuraient quelques-uns d’entre nous ; voilà l’heure du Vinaigrius !

» Et, pendant des heures entières, Dinochau régalait les oreilles de ses habitués, ou, pour mieux dire, c’était lui-même qu’il régalait, car il s’enivrait littéralement de sa musique.

« Tel élait l’homme dont j’apprenais tout à coup la mort en voyage. Comment Dinochau était-il mort ? pourquoi était-il mort ? de quel droit ?

» Le jour où cette nouvelle vint me surprendre et m’abasourdir, je suis resté tout l’après-midi sur la place Saint-Marc, ne pensant absolument qu’à la place Bréda.

» Ni les bruits de la foule allant et venant, ni les accords de la musique militaire, ni les splendeurs du soleil baignant et dorant le coin du palais des Doges, n’ont pu m’arracher à cette préoccupation.

» Et malgré les ponts de Venise, les campaniles de Venise, les merveilles de Venise, je me suis surpris à m’écrier : « Ah ! je suis toujours un enfant de Paris, un écrivain de Paris, un flâneur de Paris ! »

» Est-ce un bien ? Est-ce un mal ?

» Dois-je regretter, bon cabaretier, les soirées souvent prolongées que j’ai passées à ta table d’hôte ?

» Sans doute, j’aurais pu avoir des habitudes plus nobles, j’aurais pu donner un peu plus de mon temps aux salons, me créer ce qu’on appelle « de belles relations » et me préparer de la sorte un avenir mieux équilibré.

» Gœthe s’est chargé de me justifier, il y a longtemps déjà, dans ses Épigrammes vénitiennes, écrites en 1790. Voici ce qu’il y dit en s’apostrophant lui-même :