Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les ondes de sa splendide poitrine ; il y avait longtemps qu’elle ne s’était sentie si puissamment animée.

Dans ce moment, ses regards, qui allaient partout, rencontrèrent ceux de la comtesse d’Ingrande. Une pourpre plus chaude et plus active passa sur la figure de la Marianna ; elle puisa dans la vue et dans la présence de cette femme déjà détestée une ardeur plus grande encore. Forte de l’admiration qu’elle entendait bruire autour d’elle, fière d’un talent dont elle avait la conscience, elle voulut se relever sous l’affront qui l’avait ployée le matin.

S’accompagnant elle-même au piano, Marianna chanta pendant une demi-heure environ. Jamais une âme ne s’était mieux fondue dans une voix, et jamais cette voix n’avait été tour à tour si tendre, si sonore, si impérieuse. Elle ne rechercha pas ces effets extravagants qui tendent à transformer le larynx en cascade ; elle resta dans la tradition des maîtres grands et simples. Émue elle-même, elle ne chercha qu’à émouvoir ; exaltée, elle essaya de communiquer son exaltation à ceux qui l’écoutaient. Il n’y eut plus à ce piano une cantatrice de profession ; il y eut une femme inspirée. Elle s’éleva jusqu’à ces hauteurs qui avoisinent le rêve — sommets vertigineux et que l’on ne gravit pas sans danger, témoin l’Antonia d’Hoffmann — elle y transporta ses auditeurs, devenus silencieux à force d’enthousiasme. Déjà, l’image d’un concert s’était graduellement effacée à leurs yeux ; ils éprouvaient ce malaise et cette stupeur éblouie, si intenses dans les phénomènes du magnétisme artistique ; on eût dit que leurs âmes allaient se détacher de leurs corps, pour voler à l’appel de cette âme chantante, comme ces abeilles qu’on représente attirées et groupées par le son de la cymbale.

Aussi, lorsque le charme s’interrompit, lorsque Marianna, en se taisant, les eut rendus à la vie réelle, quelque chose comme un vaste soupir d’allégement courut à travers la salle. Il fut suivi d’une explosion de battements de mains et de cris. La Marianna avait été sublime.

— Qu’avez-vous donc, Amélie ? dit Mme d’Ingrande en voyant les yeux de sa fille brillants de larmes.

— Ah ! ma mère, c’est beau ! répondit-elle.