Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/18

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— Non ! restez ! s’écria-t-elle avec vivacité ; restez ! il arriverait peut-être trop tard, et… il faut que je vous parle.

Les pas lourds et précipités du cocher se firent entendre en ce moment. Il entra, la figure bouleversée.

— Eh bien ? interrogea le monsieur.

— Ah ! grand Dieu ! ils ont défoncé tous les meubles, ils ont tout volé, tout emporté !

Qui eût regardé alors Mme Abadie eût surpris chez elle un geste de dénégation et eût vu ses yeux se diriger involontairement vers la partie de la chambre où brillait cette glace que nous avons signalée.

— Mais… ce n’est pas tout, ajouta le cocher avec une espèce d’hésitation ; si vous saviez…

— Quoi donc ?

— La domestique…

— Je sais, balbutia Mme Abadie ; pauvre Joséphine !…, elle a voulu me défendre, elle a essayé de crier… ils l’ont tuée.

— Oui, monsieur ; là, à côté ; c’est horrible !

— Cours vite à Écouen… non, à Saint-Denis ! préviens la justice ! Il n’y a pas une minute à perdre !

En entendant cet ordre, Mme Abadie s’agita sur son fauteuil et essaya d’étendre le bras, comme pour retenir le cocher qui s’apprêtait à obéir.

— Non ! s’écria-t-elle d’une voix étouffée.

Les deux hommes se regardèrent avec étonnement.

— Pas encore ! ajouta-t-elle ; pas de justice !

— Mais il importe que vous fassiez votre déclaration.

— Eh bien… à vous d’abord… à vous d’abord ! et ensuite, si j’ai la force… Oh ! donnez-moi à boire !

— Tenez !

— Maintenant, murmura-t-elle après avoir bu, renvoyer cet homme, je vous prie.

Le monsieur fit un signe à son cocher qui s’éloigna.

Il est peut-être singulier que les peintres, qui demandent trop souvent leurs inspirations aux œuvres des romanciers et des poètes, ne soient pas sollicités davantage par la vie réelle, si féconde en poésie et en terreur. À la scène que nous décrivons,