Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/184

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la France, où tout le monde ne mange pas, ceux qui mangent devraient au moins se cacher. C’est le contraire qui arrive.

On se nourrit dans des maisons à jour pour ainsi dire, sur des terrasses, presque dans la rue. La voix retentissante des garçons perce les murs. De vastes soupiraux, où passent et repassent effrontément de blancs démons, trahissent les secrets parfumés de l’office. À la hauteur de l’œil, ce sont des vitrines où les phénomènes les plus savoureux de la végétation s’étalent parmi l’eau et les fleurs ; où les poissons prismatiques, étendus à demi frétillants encore sur leur lit d’herbes, regardent de côté les orgueilleux faisans ; où de mystérieux petits barils sont confondus avec d’étranges glaçons, sous le branchage des ananas. Ces exhibitions nous ont toujours paru aussi irritantes et aussi douloureuses que celles des changeurs de monnaie — une rangée d’ortolans, dodus et bardés de lard, est faite pour inspirer les mêmes frénésies que la vue d’une sébile regorgeant de quadruples.

Telle était aussi l’opinion de Philippe Beyle. Il resta un grand quart d’heure avant de pouvoir traverser le boulevard, qui était noir de voitures. Dans ces voitures, on ne voyait que des figures heureuses. En attendant que l’encombrement se dissipât, il s’arrêta à un étalage de livres splendidement éclairé ; c’étaient de beaux volumes, reliés, de toutes couleurs. Il en prit un, et tomba sur les Classiques de la Table.

Philippe continua sa route. Les théâtres ouvraient leurs portes, d’où s’échappaient les murmures des instruments qu’on accorde. Pendant six ou sept heures, Paris allait appartenir au plaisir, aux arts, au luxe. Des femmes souriaient à Philippe en passant auprès de lui ; mais elles lui trouvaient généralement l’air trop fier, les yeux trop dilatés. Plusieurs habitués du Club le saluèrent aussi, mais de la main, et rapidement.

Ces féeries diminuèrent à mesure qu’il s’éloigna du boulevard ; elles avaient totalement disparu quand il entra dans la rue de Vintimille. Alors, Philippe eut un soupir de soulagement. Arrivé chez lui, et au moment où il mettait le pied sur la première marche de l’escalier, il s’entendit appeler par son