Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/299

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Ce fut ce qu’il s’efforça d’expliquer à Philippe dès qu’ils se furent assis tous les deux sur d’adorables fauteuils ganaches.

— Franchement, monsieur Beyle, pour un célibataire ou pour un veuf, c’est-à-dire pour quelqu’un que rien ne retient ou ne rappelle au même point, y a-t-il un usage plus tyrannique que celui qui consiste à demeurer quelque part ? Ne vaut-il pas mieux, comme moi, demeurer partout ?

— J’avoue, monsieur Blanchard, que je ne me suis pas encore suffisamment rendu compte des avantages de votre système. Si commode et si élégant que soit ce volumineux carrosse, il me semble qu’une belle maison, en bonne pierre de taille, lui sera toujours préférée.

— Par qui ? par des routiniers, par des gens que tout progrès, que toute amélioration épouvante. Habiter une maison, c’est s’apprêter les plus graves embarras, les plus longs ennuis, et graduellement les plus odieuses tortures. Ne croyez pas que j’exagère. Prenons un exemple : je sors du Club ; me voici forcé de marcher ou de me faire conduire jusqu’à ma maison ; pour peu que cette maison soit à quelque distance, je perds dix ou quinze minutes dans un état de passivité stupide. Me prend-il fantaisie d’aller au Bois ou plus loin, en rase campagne, je suis obligé de me livrer à un ennuyeux calcul de prévisions afin de rentrer avant la nuit dans ma maison. Qu’en dites-vous ?

Philippe riait et ne répondait pas.

— Ma maison ! ma maison ! Et dire qu’il y a des gens qui éprouvent une joie ineffable à prononcer ces deux mots. Ils auraient mieux fait de dire : ma prison. L’homme qui a une maison à soi, comme M. Vautour, ne peut ni vivre, ni respirer en dehors ; ses moindres volontés sont soumises à cette masse de pierre qui l’attend, qui le réclame : il voudrait bien voyager, mais que deviendrait-elle ? Aussi est-ce une expression vicieuse que celle-ci : avoir une maison. Ce n’est pas vous qui avez votre maison, c’est votre maison qui vous a.

— Comme la chienne de Beaumarchais, dit Philippe.

— J’ai donc eu raison de m’affranchir de ces tribulations