Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/346

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livré sa vie en vous disant : « Je serai ce que vous me ferez. » Mais je n’ai agi de la sorte qu’à la condition d’un avenir nouveau, d’une existence nouvelle. Du moment que vous me faites rentrer dans le cercle de mes anciennes impressions, que vous rapportez dans mon ménage les soucis du célibataire, les anxiétés, les jalousies, je redeviens ce que j’étais avant de vous avoir connue, je retrouve au fond de mon cœur mes cruautés en même temps que mes souffrances.

Il se leva.

— Laissez-moi être toujours bon, Amélie, poursuivit Philippe ; ne me faites pas repasser par les chemins d’autrefois, par les chemins mauvais. J’ai lieu de craindre que vous ne soyez abusée par des influences coupables, c’est pourquoi j’insiste de tout le poids de ma prudence. Vos qualités, vos vertus sont grandes, mais l’expérience vous fait défaut. Je considère votre jeunesse, et je serais un fou de vous laisser votre libre arbitre. Réfléchissez bien, chère enfant, je ne veux qu’assurer la paix de notre avenir. Or, ma curiosité n’est pas une curiosité puérile, puisque votre résistance est si grande. Vous tremblez, vous pleurez, j’en dois conclure que ce que vous me cachez est grave…

— Oh ! oui, murmura-t-elle à demi-voix.

— Alors, comment voulez-vous que je puisse consentir à l’ignorer ? Vous invoquez votre loyauté, vous faites un appel à mes sentiments généreux. Très bien. Je suppose que je renonce à vous questionner, que j’accepte complaisamment le bandeau que vous m’offrez : ce soir, ému par vos larmes, touché par vos protestations, je parviendrai peut-être à chasser cet épisode importun ; mais demain, mais après-demain, croyez-vous que ce souvenir ne reviendra pas m’obséder ? Et lorsque je vous verrai sortir ou rentrer, ordonnerai-je facilement à mon inquiétude ? Il faudra me taire, cependant, car je l’aurai promis. Voyez, dès lors, Amélie, quelle sera notre existence ; comprenez quelle gêne présidera à nos causeries, et dites-moi si l’un et l’autre nous pouvons accepter des rôles semblables.

— Philippe, que voulez-vous que je réponde ? Tout ce que vous dites est vrai, est sage ; mais une fatalité pèse sur moi. Je dois me taire.