Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/409

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— Vous avez voulu me parler en particulier, continua Marianna ; je vous ai écoutée ; je vous ai laissé dire tout à votre aise. Vous me laisserez dire aussi, moi. J’ai appris par vous que je n’étais qu’un grain de poussière, la moindre des créatures, la proie du malheur. Soit. Ce que vous n’avez pas ajouté, je le devine : vous êtes surprise de ce que je n’aie pas demandé à la religion un refuge. Que voulez-vous ! on ne m’a pas seulement appris un Pater quand j’étais petite. Je vous l’ai dit : c’est toute une éducation à faire. Mais quelle que soit la sévérité de celui, qui me jugera, il ne verra dans ma vie qu’un amour, qu’une faute. Je n’ai jamais aimé que Philippe, je n’aimerai jamais que lui, mais à ma manière, entendez-vous ? comme les filles de pauvres gens, brutalement, égoïstement, sans raison. C’est incompréhensible, je le sens ; mais je ne veux pas qu’il soit heureux par d’autres ; je préfère qu’il souffre par moi. Ah ! si on pouvait me le livrer malade, abandonné, sans ressources, je l’adorerais plus que je ne l’ai jamais adoré ; toutes mes minutes seraient à lui. Madame, je ne sais pas comment vous l’aimez, mais je doute que ce soit autant et mieux que moi.

Amélie n’avait jamais entendu rien de pareil. La révélation de cette passion étrange la remplissait de stupeur.

— Tenez, ajouta Marianna qui prenait sa revanche ; il y a une chose qui, de temps en temps, me console ; il y a un souvenir qui est pour moi ce que la goutte d’eau est pour le condamné : pendant trois mois il m’a bien aimée.

— Assez, madame ! dit Amélie.

— Si vous saviez les serments qu’il m’a faits, le soir, quand sa tête s’appuyait sur mon épaule ; qu’il était alors enthousiaste et beau, mon Philippe !

— Oh ! vous allez vous taire ? s’écria Amélie.

— Pourquoi donc ?

— Parce que je vous l’ordonne.

— Vous ! dit Marianna avec un sourire railleur.

— Oh ! misérable et lâche ! murmura Amélie en s’avançant vers elle ; enfant de la boue, qui ne sait que ramasser de la boue pour insulter ! femme qui se salit pour salir !