Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/70

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Marianna n’avait pas quitté son appartement de la rue de Chabrol ; seulement la dame aux rhumatismes avait été remplacée. La curiosité vint la poursuivre jusque-là ; le garçon de théâtre, chargé de lui porter les bulletins de répétition, eut désormais tous les matins ses mains pleines de messages et de cartes de visite.

Parmi les cartes qui se représentaient le plus obstinément dans sa loge des Italiens et dans son appartement, Marianna fit remarquer celle d’un jeune homme appelé M. Philippe Beyle. Irénée la remarqua aussi. Écrivons-le ici en lettres de feu : entre tous le supplice que le poète florentin se plaît à entasser dans les cercles de son poème infernal, il n’en est pas de comparable à celui qui consiste à aimer une comédienne. On ferait un lac à couvrir l’Europe avec les larmes et le sang que ces femmes brillantes ont fait répandre depuis l’invention des spectacles. Irénée, dès qu’il vit un lustre resplendir sur l’objet de son adoration, eut le pressentiment des souffrances qui l’attendaient. Il jeta, ce soir-là, un regard haineux sur la salle entière, et il comprit qu’entre lui et le public la lutte allait commencer. Se rencontrant avec l’éditeur de musique dans une pensée commune, il hâta le départ de Marianna pour l’Angleterre.

Marianna quitta Paris avec un certain regret ; il lui en coûtait d’abandonner ainsi son public ; et malgré tous les raisonnements que l’amour suggéra à Irénée, elle lui en voulut un peu de ce qu’elle appelait son égoïsme.

Constatons aussi qu’en dehors de son talent et de sa beauté, Marianna n’avait rien de supérieur aux autres femmes. C’était un esprit à créer, une âme à animer. D’ailleurs, pourquoi aurait-elle partagé les craintes d’Irénée, lorsque l’art, la faisant passer sous sa plus belle porte, ne lui promettait que des enchantements ?

Quelques affaires firent que M. de Trémeleu ne partit point ne même temps que Marianna. Il resta un mois à Paris. Ce mois devait lui être funeste.