Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
CUBIÈRES.

qui semblait indiquer en lui la pensée d’une de ces morts antiques qui enlevaient l’homme à la fortune et qui le rendaient, dans les extrémités du sort, son propre juge et son propre libérateur ; puis, comme se reprenant lui-même de sa pensée : « Si le roi, dit-il, était de la religion des philosophes, s’il était un Caton ou un Brutus, il pourrait se tuer ; mais le roi est pieux, il est chrétien : il sait que sa religion lui défend d’attenter à sa vie, il ne se tuera pas. » Ces deux hommes échangèrent à ces mots un regard d’intelligence et se turent. »

La gloire politique de Dorat-Cubières ne fut pas de longue durée. Malgré ses antécédents patriotiques, il se vit compris dans la loi qui éloignait tous les nobles des emplois publics. Sa douleur ne saurait se rendre en termes assez pénétrés ; il fit le diable à quatre pour prouver qu’il n’était qu’un simple roturier, un vilain, ce qu’il y a de plus peuple au monde. Il entra dans une grande colère contre ses imprimeurs, qui, dans quelques-uns de ses ouvrages, avaient fait précéder son nom du titre de chevalier. Enfin, il déposa sur le bureau du conseil général de la Commune différentes attestations, constatant que son père, sa mère et lui-même n’avaient jamais été que de francs bourgeois[1]. On ne l’écouta pas. Il dut abdiquer ses fonctions de secrétaire et rentrer dans la vie exclusivement poétique, après en avoir été pour ses frais d’humilité ambitieuse.

  1. Selon Prudhomme, il aurait même fait pis : il aurait déclaré, dans la tribune de la section de l’Unité, « que sa mère avait commis un crime en le faisant noble, parce que son père ne l’était pas. » Mais Prudhomme est souvent suspect, et ici j’éprouve de la répugnance à adopter une aussi odieuse assertion.