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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

rien dans ce mariage, car, s’il faut le dire, ce bourgeois, cet Aubry, n’était autre chose qu’un gargotier retiré. Un gargotier, justes dieux ! un vulgaire traiteur devenir le gendre de l’auteur de l’ode immortelle : Le Nil a vu sur ses rivages… Ce jour-là probablement le luth du grand lyrique en saigna des larmes de honte. Mais l’audace involontaire du prosaïque Aubry ne devait pas tarder à trouver son châtiment : les deux ou trois premiers quartiers de sa lune de miel ne s’étaient pas écoulés qu’il prenait mélancoliquement la route du cimetière, laissant une veuve de seize ans, — veuve consolable, et pourvue d’une soixantaine de mille livres. Olympe Aubry n’en demandait pas davantage ; pour une enfant perdue, en effet, c’était tirer de bonne heure son épingle du jeu. Libre et riche, le séjour de Montauban lui devint insupportable ; elle voulut changer d’air et d’adorateurs, voir du pays, courir le monde. Un beau jour, elle mit le verrou sur la maison du défunt gargotier, et elle décampa[1]. Où alla-t-elle ? Est-ce que cela ne se devine point ? Où vont tous ces jolis minois dont les yeux pétillent de

  1. Il y a une autre version que je dois rapporter, bien que son auteur ne la donne pas lui-même comme positive. La voici : « Olympe de Gouges était, comme la sœur aînée de Rivarol, cette sultane de Dumouriez, native de Montauban ou de Carcassonne et fille d’un marchand de vin. Elle se nommait alors Bibichon ou Babichette, et était très-attrayante. Un homme riche l’emmena à Paris, après avoir fait un présent considérable à l’aubergiste, et il ne crut pas pouvoir l’aguerrir trop tôt. Ensuite, l’ayant quittée, il lui laissa quelque fortune. Nous avons constamment refusé de la voir, quoiqu’elle nous y eût invité. » — Année des dames nationales ou Calendrier des citoyennes ; Paris, 1794. L’auteur est Rétif de la Bretonne.