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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

lui était évidemment hostile, elle se décida à faire imprimer son théâtre et à en appeler au jugement de la nation. Les princes du sang voulurent bien accepter la dédicace de ses trois volumes qui parurent en 1788, et qui furent sans doute tirés à peu d’exemplaires, car ils n’apparaissent que rarement dans les ventes publiques. Elle y joignit des notes justificatives et toute sa correspondance avec Molé, mademoiselle Contat, madame Bellecour, etc. « C’est là que j’attends les auteurs honnêtes et délicats : celui qui ne prendra pas ma défense et ne regardera pas mes intérêts comme les siens propres est indigne d’écrire et de porter le caractère d’homme. » D’autres fois, elle revient avec douleur sur le tour de réception dont on l’a frustrée à propos de sa première pièce, et elle compare les auteurs à des porteurs d’eau qui se mettent à la queue les uns des autres pour remplir leurs seaux. « Jouez donc mon drame, mesdames et messieurs ! il a assez attendu son tour, et toutes les nations avec moi vous en demandent la représentation. »

Mais où son désespoir s’exhale avec le plus de force, c’est dans la préface de Molière chez Ninon, son ouvrage favori ; là ses plaintes sont au-dessus de tout ce que l’on peut comprendre ; elles m’ont presque arraché des larmes par leur éloquence navrante. « On m’enlève ma frénésie, ma passion, ce qui seul pouvait faire les délices de ma vie ! » s’écrie-t-elle ; et récapitulant tout ce que lui a fait souffrir la haine implacable de la Comédie française : « Je sens bien que si j’avais été homme, il y aurait eu du sang de répandu ; que d’oreilles j’aurais coupées ! » Un peu plus loin, cependant, la grandeur d’âme reprend le dessus ; elle re-