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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

vingt minutes ce grenadier marchait derrière lui, en chantonnant un refrain de caserne. « Où allez-vous donc, mon petit bonhomme ? » lui demanda-t-il en le voyant se retourner et hésiter. Pleurs du jeune Beffroy. « Est-ce que vous vous seriez égaré ? Parbleu ! je suis là pour vous montrer la route. » Et il lui montra la route du cabaret. Notre amoureux avait besoin de distraction, il se laissa conduire. Ce grenadier était d’ailleurs un excellent homme, quarante ans au plus, figure rouge et cordiale, gestes animés, langage naïf ; il portait les deux épées en sautoir, décoration qui était pour le soldat ce que la croix de Saint-Louis était pour l’officier. Il fit apporter une bouteille et deux verres. « Buvez, mon jeune galant ! dit-il ; buvez et vous serez consolé. » Beffroy, tout en larmoyant et en trinquant, raconta ses peines au grenadier, qui demanda une seconde bouteille ; la confidence n’en finissait pas. Il advint cependant qu’à la troisième bouteille, Beffroy essuya ses yeux ; à la quatrième, il commença à sourire ; et quand ils se levèrent de table, il était tout à fait consolé ; c’était le grenadier au régiment de Navarre qui était devenu presque amoureux. Ils reprirent ensemble la route de Paris. Beffroy chantait à tue-tête, et ne concevait plus comment il avait pu montrer tant de faiblesse quelques instants auparavant ; le grenadier était triste et songeait. Il n’en continua pas moins de servir d’escorte à son jeune camarade, et il ne l’abandonna qu’après avoir vu la porte du collège se refermer derrière lui.

L’année suivante. Beffroy de Reigny prit le petit collet ; il fit un abbé charmant, dans le sens mondain attaché à ce mot par le dix-huitième siècle,