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LE COUSIN JACQUES.

son appartement n’étant pas prêt. C’était un lundi (dies lunæ), jour qu’un auteur avait choisi chaque semaine pour aller chez Carnot. Au moment où Bonaparte entra, cet auteur chantait un nouvel air qu’il avait prié une demoiselle d’essayer en l’accompagnant sur le piano. L’arrivée de Bonaparte interrompit l’ariette, comme bien l’on pense ; on vit paraître cinq ou six jeunes gens, ses aides de camp, de la plus haute stature, et après eux, un petit homme, très-bien pris dans sa taille, s’annonçant et s’énonçant avec beaucoup de dignité, et saluant tout le monde avec cet air d’aisance et de politesse qui faisait contraste, il faut l’avouer, avec les manières et le ton de la plupart des généraux qu’on avait vus jusqu’alors.

« L’auteur demanda tout bas à Carnot quel était ce monsieur-là. — C’est le général de la force armée de Paris. — Comment s’appelle-t-il ? — Bonaparte. — Est-ce un homme d’esprit ? — Je n’en sais rien. — A-t-il des talents militaires ? — On le dit. — Qu’a-t-il fait de remarquable ? — C’est lui qui commandait les troupes de la Convention le 13 vendémiaire… — Cela suffit.

« Et la figure de l’auteur de se rembrunir aussitôt ; et lui, électeur de vendémiaire, très-entiché de son opinion parisienne, de se retirer dans un coin, et de garder un profond silence, tout en considérant ce monsieur-là, dont la physionomie ouverte et pleine de jeu lui eût beaucoup plu, sans ce que lui avait dit Carnot.

« Bonaparte, voyant qu’une demoiselle était encore au piano et qu’on ne s’occupait plus que de faire cercle autour de lui, dit avec beaucoup de dou-