Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LINGUET.

« Je n’ai jamais estimé le métier d’avocat, et je vais le faire. C’est qu’il faut être quelque chose dans la vie ; c’est qu’il y faut gagner de l’argent, et qu’il vaudrait mieux être cuisinier riche que savant pauvre et inconnu. »

Voilà Linguet.

III

Le barreau était alors, comme aujourd’hui, cette profession qui mène à tout, — la première étape de l’ambitieux. Au dix-huitième siècle, quiconque n’était ni poëte, ni philosophe, ni comédien, ni grand seigneur, ni financier, se devait d’être au moins avocat au parlement, sinon il n’existait pas. Le parlement comptait dans son sein plusieurs illustrations, Target, Legouvé, et principalement Gerbier, avocat modèle, type parfait de l’éloquence onctueuse, ce qu’on appelait un des flambeaux de l’art oratoire. Linguet se promit de souffler sur ce flambeau ; mais souffler n’est pas éteindre, et, dans cette lutte qui va être racontée tout à l’heure, le flambeau Gerbier, après des intermittences d’éclat et d’ombre, finit par éclipser totalement le flambeau Linguet.

On voit que l’auteur du Fanatisme des Philosophes voulait être un avocat réel, c’est-à-dire un avocat plaidant, fût-ce pour le diable. Ce souhait fut en partie réalisé, car il se chargea, peu de temps après, de la cause du jeune chevalier de La Barre, accusé d’athéisme, comme on sait, pour avoir gardé son chapeau sur la tête lors du passage d’une procession