Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
OUBLIÉS ET DEDAIGNÉS.

de capucins, et condamné, à propos d’une chanson de table, à la torture, au supplice de la langue arrachée, à la décapitation et au bûcher. Dans cette épouvantable affaire qui fit frémir la France, et qui ne fut autre chose qu’une arme odieuse de politique entre les mains du parlement, Linguet se vit fermer la bouche ; de plus, on lui défendit de publier le moindre écrit ; il fut réduit aux démarches, aux sollicitations, aux remontrances manuscrites, qui ne produisirent aucun effet. Il se montra d’autant plus affecté de ces déboires, que l’infortuné chevalier de La Barre était le fils d’un de ses meilleurs amis, lieutenant-général des armées, mort au service du roi.

« Je croyais, écrit-il avec amertume, je croyais, en m’attachant au Palais, avoir donné le change à mon étoile. Je m’étais bien trompé. Mon travail, mon désintéressement, le peu de talent dont on veut bien me gratifier, tout cela ne me sert de rien, et mes mémoires ne sont pas plus heureux que mes livres. La jalousie, la calomnie, la bassesse, tout ce qu’il y a d’avilissant se retrouve chez les écrivailleurs de rôles. Je l’éprouve dès à présent que je n’ai pas encore seulement jeté un petit rayon dans le Palais. Que sera-ce si jamais j’ai le bonheur ou le malheur de me voir placé parmi les vers luisants qui rampent dans ce pays-là ? Je ne sais ce qu’il en adviendra, mais il est sûr que ma robe ne tient à rien, et qu’un degré de plus dans ma mauvaise humeur me rendrait mon ancien état de cosmopolite…… »

En attendant une chance plus favorable, Linguet se reprit à publier quelques compositions littéraires,