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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

jours cette grande diablesse crêpée dont se choquait tant Rameau le neveu, il m’arrivait très-souvent de rallier à mon opinion, quelle qu’elle fût, la masse entière du public. Je compris quel parti je pouvais tirer de cette influence, et je ne m’occupai plus qu’à l’augmenter.

Monsieur, j’ai régné pendant plus de cinquante ans sur la Comédie française et sur ie Théâtre-Italien.

Vous ne savez plus guère aujourd’hui ce que c’est qu’un chef de cabale. Chez vous, la cabale s’improvise de la veille au lendemain avec autant de légèreté qu’un repas : vous prenez une poignée d’hommes, les premiers venus, vous leur faites jurer sur un écu d’applaudir Hermione et de conspuer Andromaque ; puis, vous vous en allez, en vous frottant les mains. Au jour dit, vous êtes tout étonné de voir manquer votre cabale ; la moitié de vos hommes sont attentifs au spectacle et y goûtent beaucoup de plaisir ; les autres prennent vos instructions au rebours et n’aboutissent qu’à un tapage honteux, aussitôt écrasé par l’unanimité des spectateurs. Cela vous dégoûte, et vous ne recommencez plus. Vous faites bien.

Il ne vous reste qu’une seule cabale : la cabale des journaux.

Mais, de mon temps, son importance n’était que secondaire, et l’on redoutait bien davantage la cabale agissante.

Ma position équivalait assez à ce qu’on appelle en Italie un chef de condottieri, ou plus vulgairement en France un sergent recruteur. Je recrutais partout, et principalement dans les cafés, où je savais que les auteurs faméliques venaient tous les soirs se procu-