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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

lumière, de baisers et de joyaux ; s’il en est un qui possède mieux que moi le secret du style praliné ; qui enjolive une métaphore de rubans plus frais ; qui sache plus longtemps faire tenir en équilibre, sur une équivoque audacieuse, un dialogue pétillant de tous les feux de la galanterie ! Allez, non-seulement vous n’avez rien inventé, mais vous n’avez rien perfectionné. Mon roman restera le désespoir éternel des tourneurs de périodes et des lapidaires d’adjectifs, la suprême expression du genre joli.

Faut-il vous entretenir, après cela, du succès obtenu par Angola dans tous les coins de la terre, c’est-à-dire partout où il y avait un boudoir, une chaise longue et les rideaux tirés ? Il fut considérable, il fut extrême, il me força à demander grâce et à me claquemurer dans un réduit inconnu, pour me soustraire tant aux sollicitations des libraires qu’aux curiosités des gens de cour. Comme Angola avait paru sans nom d’auteur, on me fit l’honneur, pendant les premières semaines qui suivirent sa publication, de l’attribuer tour à tour au duc de La Trémouille, à Voltaire, à Crébillon fils, à tout le monde. Trois, quatre éditions furent enlevées en quelques mois ; Londres et la Hollande ne restèrent point en arrière et multiplièrent les contrefaçons.

De tous les hommes de lettres avec qui l’on a essayé de me mettre en parallèle, Crébillon fils est le dernier à qui l’on eût dû songer. Je n’ai rien, en effet, des qualités ni des défauts de celui qu’on a surnommé le Philosophe des femmes ; si je m’avoue inférieur à lui en ce qui touche l’analyse subtile des sentiments, je me considère comme son maître en fait de gaieté, de mouvement et de couleur. Crébillon