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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

consolation encore plus que le reproche ; la bonté m’irritait. Je gagnai à cette humeur maussade quelques vices de plus, et, descendant les derniers degrés de l’échelle sociale, j’arrivai à ne me plaire que dans la compagnie des malheureux ; je hantai les cafés équivoques, les cabarets de la Courtille, je goûtai un acre plaisir à m’enfoncer chaque jour plus avant dans les fanges.

Il me fut donné alors d’apprécier le dévouement admirable de Denise. Toujours riante, même au milieu du plus profond dénûment, elle opposait à notre mauvaise fortune un génie vraiment inventif. Lorsque, les mains vides, je revenais silencieusement m’asseoir au coin de la cheminée sans feu, c’était elle qui s’efforçait d’improviser un repas égayant. Dans les moments extrêmes, elle savait trouver des ressources que je n’eusse jamais soupçonnées : tantôt c’était le traiteur qui avait consenti à s’humaniser jusqu’à la fin de la semaine, tantôt c’étaient deux ou trois pièces d’argent miraculeusement retrouvées dans le fond d’un tiroir. Je ne m’inquiétais pas autrement de cela, — lorsqu’une circonstance fortuite vint m’ouvrir les yeux et les remplir de larmes.

Passant vers midi, par le plus extraordinaire hasard, dans le quartier de la Petite-Pologne, j’entendis au coin d’une rue les sons d’une guitare, mêlés aux accents d’une voix qui me donna un tressaillement subit. Je pris ma tête à deux mains pour m’assurer que je ne devenais pas fou, et je m’avançai rapidement vers l’endroit d’où partait cette voix connue…

Ah ! monsieur, vous devinez tout, n’est-ce pas ?