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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

décourager. Seule, Denise ne désespérait pas ; elle croyait, ou plutôt elle voulait croire à mon bonheur, à mon étoile, au hasard protecteur. Moi aussi j’avais cru jadis à tout cela !

Selon ses conseils, — car Denise me donnait des conseils, — j’essayai de me rappeler une seconde fois au souvenir de la maîtresse de Louis XV ; j’écrivis les Mémoires de Du Barry de Saint-Aunetz, anecdote du temps de Henri IV. Mais mon appel ne fut pas entendu : ni bourse, ni souper !

Ce fut mon dernier ouvrage imprimé ; j’avais soixante et dix ans…

Monsieur, cette dernière partie de mon existence vous paraîtra assez triste ; elle n’est cependant qu’une conséquence de ma jeunesse et de mon âge mûr. — Après la gêne, vint la misère absolue ; je la supportai mal, car je n’avais ni religion ni philosophie. D’abord, je mis mes amis à contribution, mais comme la liste en était fort courte, je dus bientôt recourir aux simples connaissances, près desquelles je finis par acquérir une réputation d’emprunteur, comme Baculard d’Arnaud. J’avais gardé ce que ne m’ont jamais refusé mes ennemis, c’est-à-dire la verve hâbleuse, l’esprit à flots ; j’amusais, j’étais écouté, et, la vanité aidant, je croyais de la sorte rembourser mes créanciers. — Par malheur, toute cette gaieté m’abandonnait quand je rentrais chez moi ; le sentiment de ma position avilie reprenait le dessus, et je devenais amer même pour Denise. Aussi, comme toutes les natures aigries par la conscience de leurs propres fautes, je fuyais mon intérieur où veillaient constamment l’angélique patience et la tendresse qui encourage. Je redoutais la