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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

cette glace ma propre image, devant laquelle je venais de reculer !

Sur ces entrefaites, la Cardonne s’avança de nouveau pour m’entraîner à une table de jeu ; mais, étant revenu tout à fait à moi, je la repoussai en murmurant quelques vagues paroles, et, le souvenir de Denise s’étant représenté à mon esprit, je quittai précipitamment l’académie de la rue du Chaume.

Un soupçon funeste m’oppressait.

Je marchais, ou plutôt je courais, — en parlant à voix haute.

Mais, quelque diligence que je fisse, j’arrivai trop tard à la chambre de la rue du Plat-d’Étain. Denise venait d’expirer ; elle était encore étendue dans sa bergère, comme je l’avais laissée, les bras abandonnés sur sa robe brune.

XIV

DÉNOUEMENT

Croiriez-vous, monsieur, que je vécus encore treize ans après cette perte irréparable ? La vie s’était enlacée à moi comme un châtiment.

Je m’étais retiré dans un coin de l’île Saint-Louis. Depuis la mort de Denise, j’avais renoncé au théâtre, au café, au monde, à tout. Je n’eus pas de peine à me faire oublier ; — mais je n’oubliai jamais, moi.

Enfin, à l’heure où j’achevais ma quatre-vingt-troisième année, une maladie de langueur m’atteignit ; elle dura deux ans entiers, à la fin desquels je m’éteignis dans les premiers jours du mois de février 1785.