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GORJY.

tendre auteur des Épreuves du sentiment et des Délassements de l’homme sensible, Baculard d’Arnaud, le plus infatigable et le plus éploré ; puis de la Place, le traducteur de romans anglais ; madame de Genlis ; et cette autre gloire, restée pure aujourd’hui encore dans les loges de concierges, Ducray-Duminil, qui devait bientôt les éclipser tous.

Gorjy marcha à leur côté ; il fut moins ennuyeux que quelques-uns et plus original que les autres. Peu épaulé des journalistes, il fit son chemin tout seul. On doit croire cependant qu’il était assez bien en cour, car l’un de ses romans est dédié à la comtesse d’Artois. Du reste, soit instinct, soit effet de son éducation et de sa vie habituelle, Gorjy est toujours demeuré fidèle au parti aristocratique, comme on le verra tout à l’heure.

L’amour du sentimental le tenait si fort, que, non content d’avoir composé un Nouveau voyage sentimental, il fit encore imprimer les Tablettes sentimentales du bon Pamphile. On était en 1791 : c’était, il faut l’avouer, choisir un peu singulièrement son temps. Toutefois, au milieu des idylles les plus fraîches et des situations les plus douces, l’inquiétude du moment se trahit au détour de chaque page. S’arrête-t-il dans une campagne toute brillante de rosée et de soleil, la vue d’un château incendié par les patriotes vient lui navrer le cœur. Un peu plus loin, c’est un vallon coquet où luit et babille un ruisseau ; des touffes de roseaux inclinent leurs feuilles longues et larges, lisses comme des miroirs et vertes avec splendeur : la feuille sans cesse agitée du tremble ajoute son froissement au murmure du flot qui écume légèrement sur les pentes caillouteuses ; mais,