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GORJY.

La peinture de mœurs n’occupe pas exclusivement l’auteur d’Ann’quin ; il y a place, dans sa galerie, pour les tableaux d’histoire et les événements de la rue. Les fêtes, les assemblées, les fédérations du Champ-de-Mars sont décrites particulièrement avec une verve de couleur et un soin dans le détail qu’on ne saurait trop louer. Citons ce morceau : « Je voudrais peindre le spectacle imposant de cette foule innombrable formant un nombre infini d’ellipses immenses, ayant pour centre commun l’autel de la Fraternité ; ces bannières de toutes couleurs flottant dans les airs, ces milliers d’armes étincelantes, ces chants d’allégresse. Un enthousiasme porté jusqu’au délire s’était emparé de tous les esprits ; tous les cœurs s’étaient épanouis ; expansion, cordialité, dévouement, un seul instant avait jeté dans les âmes tous les sentiments à la fois. Ô puissant effet d’une grande réunion ! Prenez une à une les feuilles d’un arbre : chacune, est l’emblème de la fraîcheur ; entassez-les, elles s’échauffent, s’enflamment… — Et les hommes, combien plus aisément encore. Ils ne le savent que trop, ceux qui se servent, de la multitude.

« C’était dans la plaine de Lon lan la derirette qu’on s’était rassemblé dès le point du jour. Non, lecteur, vous ne vous ferez jamais une idée exacte de cette bigarrure. Des sabots, des escarpins, des sandales, des pieds nus se montraient pêle-mêle avec des bas de soie et des bottes ; des culottes de drap serin se faisaient voir entre de grands pantalons de la Grenouillère et des tabliers de taillandiers, de marmitons, de boyaudiers ; un joli chapeau à corne camuse se montrait à côté du feutre boueux d’un portefaix, une