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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

trente, quarante mille francs par an. Une pièce se payait vingt écus, c’était un prix fait comme un habit ; je dirais comme des petits pâtés si je ne craignais pas d’être un peu trivial. On jouait les pièces cent fois, deux cents fois, trois cents fois, on les jouait toujours ; Audinot et Nicolet faisaient fortune, les auteurs mouraient à l’hôpital, et tout allait bien. »

Plus loin, Brazier raconte cette anecdote : « Dorvigny, qui se trouvait souvent dans la gêne, portait quelquefois à Barré (alors directeur du Vaudeville), de vieux canevas composés dans sa jeunesse, et qui n’étaient pas jouables. Barré, devinant le motif qui guidait Dorvigny, lui disait avec sa brusquerie accoutumée : « Ta pièce est détestable, elle est bête comme toi ! mais, tiens, voici un ouvrage que tu peux arranger, travaille ! » Et en disant cela, il lui mettait un vieux manuscrit et cent francs dans la main, et jamais ne lui reparlait de la pièce. »

« Dorvigny, ajoute à son tour mademoiselle Flore dans ses Mémoires, mémoires charmants, bien qu’un peu abandonnés de forme, — Dorvigny portait un costume fort négligé et souvent brodé en paillettes de crotte ; il se pavanait fièrement au milieu des jeunes auteurs, qui étaient tous habillés en muscadins, comme on disait alors. Il empruntait à Brunet un ou deux petits écus, à compte sur une pièce qu’il lui promettait, et allait s’établir dans un cabaret où il travaillait. »

Selon M. Lepeintre, déjà cité, c’est un hospice de province qui aurait reçu le dernier soupir ou le dernier hoquet de Dorvigny, le 6 janvier 1812, « à la suite d’un excès bachique, dit-on. » Ce fait n’est pas absolument prouvé, quoiqu’il n’aurait eu malheu-