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LA MORENCY.

ral Dumouriez lui-même que vous voyez là : il a plus de quarante ans en effet ; mais en chenille et avec son air de vivacité, il est loin de les paraître. »

Il n’y avait plus à douter. Le soir, la voiture de Dumouriez vint la chercher pour la conduire au quartier général. Suzanne fut étincelante, avec une pointe de Sillery dans la tête : le héros la supplia vivement de rester avec lui pendant la campagne ; il lui dit qu’il avait besoin d’une femme d’esprit et de caractère. Elle ne répondit qu’en tendant son verre à une nouvelle rasade, et en riant aux éclats, du grand rire des Célimène. Ce n’était pas que son cœur et sa vanité n’eussent pu la retenir auprès de Dumouriez, mais son sérail lui paraissait déjà trop nombreux ; d’ailleurs, Félicité Fernig était sa sultane favorite, et Suzanne n’était pas femme à s’accommoder d’un rang subalterne. Elle se sépara de lui le lendemain.

Bientôt ce cœur sans boussole revint à Paris ; — le bonheur ne l’y attendait pas. Repoussée de son mari, elle fut obligée de broder au tambour pour subvenir aux besoins de son existence ; mais ce travail était à peine suffisant ; elle se défit de quelques-unes de ses robes, puis elle contracta des dettes. Un hasard miraculeux pouvait seul l’arracher à cette fausse position ; ce hasard se produisit sous la forme d’un nègre, qui lui remit une très-belle boîte d’écaille renfermant cinq cents livres en or. Dans une lettre, accompagnant cette boîte, on lui en promettait autant tous les premiers du mois ; d’ailleurs, pas de signature, pas d’adresse, rien. « Ne cherchez pas à me connaître, disait cette lettre étrange, je ne serai pas assez maladroit pour essuyer un refus, pas même un remercie-