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MERCIER.

serrée, fine et spirituelle, un grand air de franchise. Plus que ses pièces, disait-on, il avait eu des succès dans les coulisses de la Comédie française. Lorsque la politique vint détrôner la littérature, et que le peuple se fut improvisé dramaturge à son tour, Sébastien Mercier, comme tous les écrivains de France, se demanda ce qu’il allait devenir.

III

Un matin de l’an V, Mercier traversait le jardin du Palais-Royal, lorsque, devant un café, il se rencontra face à face avec un vieillard qui fredonnait une petite chanson, un vieillard cassé, maigrelet, vêtu d’un habit de tapisserie, ample comme une maison. Il attachait sur Mercier deux yeux malins et curieux. Celui-ci cherchait dans sa mémoire où il avait déjà vu cette figure, dont l’âge n’avait pas éteint l’effronterie. Tout à coup il crut se rappeler : « Le neveu de Rameau ! s’écria-t-il. — Moi-même, monsieur le dramaturge ; Rameau le fainéant, fils de Rameau le violon et neveu de Rameau le compositeur. » Mercier ne revenait pas de sa surprise. « Est-il possible ! disait-il, vous ici ! mais vous ne savez donc pas que tout le monde vous croit mort ? Voyons, parlez vrai : êtes-vous bien sûr d’être encore vivant ? » Le neveu de Rameau sourit et murmura : « Ai-je jamais été bien sûr de quelque chose ? Mais vous, monsieur Mercier, qu’êtes-vous devenu depuis le temps où vous faisiez jouer de si beaux drames, que je n’ai jamais