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MERCIER.

tait d’une pile de cadavres ; à cet aspect, je fus terrassé de vénération : ce pied rayonnait d’immortalité ! Il était déjà céleste ! Je le vois encore, ce pied, il portait un signe de majesté que l’œil des bourreaux ne pouvait apercevoir ; je le reconnaîtrai au grand jour du jugement dernier, lorsque l’Éternel, assis sur ses tonnerres, jugera les rois et les septembriseurs ! »

Mercier, comme toujours, s’échauffait aux lueurs de son éloquence. L’insouciant musicien l’écoutait en savourant sa bavaroise.

« J’étais de la fameuse séance qui termina le sort de Louis XVI et qui dura soixante-douze heures. Vous vous représentez sans doute dans cette salle le recueillement, le silence, une sorte d’effroi religieux ? Point du tout. Le fond de la salle était transformé en loge où des dames, dans le plus charmant négligé, mangeaient des glaces, des oranges, buvaient des liqueurs. On allait les saluer, on revenait. Les huissiers, du côté de la Montagne, faisaient le rôle des ouvreuses de loges à l’Opéra : on les voyait ouvrir à chaque instant les portes des tribunes de réserve et y conduire galamment les maîtresses du duc d’Orléans-Égalité, caparaçonnées de rubans tricolores. L’ennui, l’impatience, la fatigue se caractérisaient sur presque tous les visages. C’était à qui dirait : Mon tour approche-t-il ? On appela je ne sais quel député malade ou convalescent ; il vint affublé de son bonnet de nuit et de sa robe de chambre, cette espèce de fantôme fit rire l’assemblée. Passaient à cette tribune des visages rendus plus sombres par de pâles clartés, et qui, d’une voix lente et sépulcrale, ne disaient que ce mot : la mort ! Toutes ces physionomies qui se