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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

succédaient, tous ces tons, ces gammes différentes ; tel député, calculant s’il aurait le temps de manger avant d’émettre son opinion ; tel autre qui tombait de sommeil et qu’on réveillait pour prononcer ; Manuel, secrétaire, escamotant quelques suffrages en faveur du malheureux roi, et sur le point d’être mis à mort dans les corridors pour prix de son infidélité : voilà ce que j’ai vu, voilà le spectacle auquel, navré de douleur, j’ai assisté, et à la peinture duquel l’histoire ne saura jamais atteindre. — Comment votâtes-vous ? demanda le neveu de Rameau. — Je me prononçai pour la détention perpétuelle, ce qui était un des moyens les plus probables de sauver cet infortuné monarque. Mais tout fut inutile. J’ai vu le fils de saint Louis bousculé par quatre valets de bourreau, déshabillé de force, garrotté à une planche et recevant si mal le coup de la guillotine qu’il n’eut pas le col mais l’occiput et la mâchoire horriblement coupés. Son sang coule, les cris de joie de quatre-vingt mille hommes armés ont frappé les airs ; son sang coule et c’est à qui y trempera le bout de son doigt, une plume, un morceau de papier ; l’un le goûte et dit : Il est b……… salé ! Autour du cadavre royal on crie des gâteaux et des petits pâtés. Oh ! l’avenir refusera de croire à tant de honte ! »

L’auteur du Tableau de Paris s’essuya le front et resta muet pendant quelques minutes, oppressé par ses souvenirs.

« Hélas ! reprit-il, j’en ai vu mourir des plus dignes et des plus grands ! Une heure avant sa fuite, je serrai la main à Condorcet, en lui remettant un itinéraire pour le comté de Neufchâtel, au moyen duquel il pouvait éviter Besançon, Pontarlier et passer le