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MERCIER.

ses pas, alors qu’elle prenait un malin plaisir à prolonger cette poursuite. »

Il aimait la table. Il avait été à l’école de Grimod de la Reynière, dont il était un des commensaux les plus assidus. En face des viandes, des flacons de cristal enflammé, des surtouts splendides, au milieu des hommes et des femmes de condition, Mercier sentait se délier sa langue et s’élever son esprit. On le recherchait pour ses folies sérieuses et pour la chaleur avec laquelle il les débitait : car alors, pour nous servir d’un de ses néologismes, son feu était prompt, vif, bien soutenu : il girandolait.

Il avait une manière de parler, à lui, surtout dans les derniers temps : il prononçait un peu plus du côté gauche de la bouche que du côté droit ; on aurait dit qu’il avait entre ses dents la pratique des gens qui font parler Polichinelle. Néanmoins il était entraînant, et il séduisait d’autant plus que sa belle physionomie et son regard fin s’animaient.

On a raconté qu’il avait un secrétaire fort original, lequel lui buvait son vin et imitait sa voix, de manière à tromper tout le monde. Ce secrétaire, arrivé plus tard, comme Mercier, à la Convention, n’avait d’autre plaisir que de se signaler par des interruptions saugrenues, que l’impassible Moniteur, trompé par l’accent, attribuait le lendemain à l’auteur du Tableau de Paris.

Nodier, qui l’a connu un peu, en parle ainsi dans ses Souvenirs de l’Empire : « Mercier, plus original encore dans son langage que dans son style. Qui n’a pas vu Mercier, avec son chapeau d’un noir équivoque et fatigué, son habit gris de perle un peu étriqué, sa longue veste antique, chamarrée d’une