Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/111

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veux-je dire, et quelles que soyent ces inepties, je n’ay pas deliberé de les cacher, non plus qu’un mien pourtraict chauve et grisonnant, où le peintre auroit mis, non un visage parfaict, mais le mien. Car aussi ce sont ici mes humeurs et opinions ; je les donne pour ce qui est en ma creance, non pour ce qui est à croire. Je ne vise icy qu’à découvrir moy mesmes, qui seray par adventure autre demain, si nouveau apprentissage me change. Je n’ay point l’authorité d’estre creu, ny ne le desire, me sentant trop mal instruit pour instruire autruy. Quelcun donq’ ayant veu l’article precedant, me disoit chez moy, l’autre jour, que je me devoy estre un peu estendu sur le discours de l’institution des enfans. Or, Madame, si j’avoy quelque suffisance en ce subject, je ne pourroi la mieux employer que d’en faire un present à ce petit homme qui vous menasse de faire tantost une belle sortie de chez vous (vous estes trop genereuse pour commencer autrement que par un masle). Car, ayant eu tant de part à la conduite de vostre mariage, j’ay quelque droit et interest à la grandeur et prosperité de tout ce qui en viendra, outre ce que l’ancienne possession que vous avez sur ma servitude, m’obligent assez à desirer honneur, bien et advantage à tout ce qui vous touche. Mais, à la verité, je n’y entens sinon cela, que la plus grande difficulté et importante de l’humaine science semble estre en cet endroit où il se traite de la nourriture et institution des enfans. Tout ainsi qu’en l’agriculture les façons qui vont avant le planter sont certaines et aysées, et le planter mesme ; mais depuis que ce qui est planté vient à prendre vie, à l’eslever il y a une grande varieté de façons et difficulté : pareillement aux hommes, il y a peu d’industrie à les planter ; mais, depuis qu’ils sont naiz, on se charge d’un soing divers, plein d’enbesoignement et de crainte, à les dresser et nourrir. La montre de leurs inclinations est si tendre en ce bas aage, et si obscure, les promesses si incertaines et fauces, qu’il est mal-aisé d’y establir aucun solide jugement. Voyez Cimon, voyez Themistocles et mille autres, combien ils se sont disconvenuz à eux-mesme. Les petits des ours, des chiens, montrent leur inclination naturelle ; mais les hommes, se jettans incontinent en des accoustumances, en des opinions, en des loix, se changent ou se deguisent facilement. Si est-il