Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/162

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J’y vois dedans au clair tout mon eſpoir écrit,
J’y vois dedans amour, luy-meſme qui me rit,
Et me montre mignard le bonheur qu’il me garde.
Mais quand de te parler parfois je me haſarde,
C’eſt lors que mon eſpoir deſſéché ſe tarit.
Et d’avouer jamais ton œil, qui me nourrit,
D’un ſeul mot de faveur, cruelle, tu n’as garde.
Si tes yeux ſont pour moi, or vois ce que je dis,
Ce ſont ceux-là, ſans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toi-meſme ſe dreſſe,
Si ta bouche & tes yeux ſe veulent démentir.
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les départir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promeſſe.

XXIII.

Ce ſont tes yeux tranchants qui me font le courage.
Je vois ſauter dedans la gaie liberté,
Et mon petit archer, qui mène à ſon coſté
La belle gaillardiſe & plaiſir le volage.
Mais après, la rigueur de ton triſte langage
Me montre dans ton cœur la fière honneſteté.
Et condamné je vois la dure chaſteté,
Là gravement aſſiſe & la vertu ſauvage,
Ainſi mon temps divers par ces vagues ſe paſſe.
Ores ſon œil m’appelle, or ſa bouche me chaſſe.
Hélas, en cet eſtrif, combien ai-je enduré.
Et puiſqu’on penſe avoir d’amour quelque aſſurance,
Sans ceſſe nuit & jour à la ſervir je penſe,
Ni encor de mon mal, ne puis eſtre aſſuré.

XXIV.

Or dis-je bien, mon eſpérance eſt morte.
Or eſt-ce foit de mon aiſe & mon bien.
Mon mal eſt clair : maintenant je vois bien,