Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/227

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incontinent quelque homme de ville. Elles estoient demeurées en partage aux medecins et aux chirurgiens ; et, quoy qu’un chacun fust à peu pres vestu de mesme, si y avoit-il d’ailleurs assez de distinctions apparentes des qualitez des hommes. Combien soudainement viennent en honneur parmy nos armées les pourpoins crasseux de chamois et de toile ; et la pollisseure et richesse des vestements, à reproche et à mespris’

Que les Rois commencent à quitter ces despences, ce sera faict en un mois, sans edict et sans ordonnance : nous irons tous apres. La Loy devroit dire, au rebours, que le cramoisy et l’orfeverie est defendue à toute espece de gens, sauf aux basteleurs et aux courtisanes. De pareille invention corrigea Zeleucus les meurs corrompues des Locriens. Ses ordonnances estoient telles : que la femme de condition libre ne puisse mener apres elle plus d’une chambriere, sinon lors qu’elle sera yvre ; ny ne puisse sortir hors de la ville de nuict ; ny porter joyaux d’or à l’entour de sa personne, ny robbe enrichie de broderie, si elle n’est publique et putain ; que, sauf les ruffiens, à l’homme ne loise porter en son doigt anneau d’or, ny robbe delicate, comme sont celles des draps tissus en la ville de Milet. Et ainsi, par ces exceptions honteuses, il divertissoit ingenieusement ses citoiens des superfluitez et delices pernicieuses. C’estoit une tres-utile maniere d’attirer par honneur et ambition les hommes à l’obeissance. Nos Roys peuvent tout en telles reformations externes ; leur inclination y sert de loy. Quid quid principes faciunt, praecipere videntur. Le reste de la France prend pour regle la regle de la court. Qu’ils se desplaisent de cette vilaine chaussure qui montre si à descouvert nos membres occultes ; ce lourd grossissement de pourpoins, qui nous faict tous autres que nous ne sommes, si incommode à s’armer ; ces