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TRADUCTION. — LIV. III, CH. IV. 179

altèrent en nous le corps et l’âme. Que de grimaces peignant l’étonnement, le comique, la confusion, nos rêves amènent sur notre visage ; que de soubresauts, d’agitations ne communiquent-ils pas à nos membres et à la voix ! Ne dirait-on pas que cet homme, qui est seul, semble avoir la vision de gens en grand nombre avec lesquels il dispute, ou d’un démon intérieur qui le persécute ? Interrogez-vous vous-mêmes sur la cause de semblables illusions ; est-il dans la nature autre chose en dehors de nous, sur laquelle ce qui n’est pas ait action ? — Cambyse, à la suite d’un songe où son frère lui était apparu comme devant devenir roi de Perse, le fit mourir ; et ce frère, il l’aimait et avait toujours eu confiance en lui. — Aristodème, roi des Messéniens, se tua, parce que l’idée lui vint que je ne sais quel hurlement de son chien était de mauvais augure. — Le roi Midas, à la suite d’un songe déplaisant qu’il avait eu, en fit autant, tant il en éprouva de trouble et de contrariété. — C’est faire de la vie exactement le cas qu’elle vaut, que de la quitter pour un songe. Regardez cependant combien notre âme triomphe des misères qu’endure le corps, de sa faiblesse, de ce qu’il est en butte à toutes les offenses et altérations ; il lui appartient vraiment bien d’en parler ! « Ô premier argile, façonnée si malheureusement par Prométhée ! Qu’il apporta donc peu de sagesse à la confection de son œuvre ! Il n’a vu que le corps dans son art, sans se préoccuper de l’esprit ; c’est pourtant par l’esprit qu’il eut dû commencer (Properce) ! »

CHAPITRE V.

À propos de quelques vers de Virgile.

La vieillesse est si naturellement portée vers les idées tristes et sérieuses que, pour se distraire, elle a besoin de se livrer quelquefois à des accès de gaîté. — À mesure que nos réflexions ayant un caractère d’utilité, sont plus sérieuses et plus approfondies, elles deviennent plus embarrassantes et plus pénibles ; le vice, la mort, la pauvreté, les maladies sont des sujets graves, sur lesquels nous ne pouvons méditer longtemps sans fatigue. Il faut avoir l’âme bien instruite des moyens de résister au mal et de le combattre, des règles qui font que notre vie et notre foi sont dans la voie droite, et souvent lui rappeler cette belle étude et l’y exercer ; mais, si cette âme appartient à un milieu rentrant dans la catégorie générale, il faut procéder par intermittences et avec modération ; elle s’affolerait, si on lui imposait une application trop continue. — J’avais besoin, quand j’étais jeune, de m’avertir et de me raisonner pour demeurer dans le devoir ; car l’allé-