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GRANDEUR ET DÉCADENCE

Ainsi Rome n’était pas proprement une monarchie ou une république, mais la tête du corps formé par tous les peuples du monde[1].

Si les Espagnols, après la conquête du Mexique et du Pérou, avaient suivi ce plan, ils n’auraient pas été obligés de tout détruire pour tout conserver.

C’est la folie des conquérants de vouloir donner à tous les peuples leurs lois et leurs coutumes ; cela n’est bon à rien : car, dans toute sorte de gouvernement, on est capable d’obéir.

Mais, Rome n’imposant aucunes lois générales, les peuples n’avaient point entre eux de liaisons dangereuses ; ils ne faisaient un corps que par une obéissance commune, et, sans être compatriotes, ils étaient tous romains.

On objectera peut-être que les empires fondés sur les lois des fiefs n’ont jamais été durables, ni puissants. Mais il n’y a rien au monde de si contradictoire que le plan des Romains et celui des Barbares[2] ; et, pour n’en dire qu’un mot : le premier était l’ouvrage de la force ; l’autre, de la faiblesse ; dans l’un, la sujétion était extrême ; dans l’autre, l’indépendance. Dans les pays conquis par les nations germaniques[3], le pouvoir était dans la main des

  1. Bossuet, Discours, IIIe partie, chap. VI. « On est encore effrayé quand on considère que les nations qui font à présent des royaumes si redoutables, toutes les Gaules, toutes les Espagnes, la Grande-Bretagne presque tout entière, l’Illyrique jusqu’au Danube, la Germanie jusqu’à l’Elbe, l’Afrique jusqu’à ses déserts affreux et impénétrables, la Grèce, la Thrace, la Syrie, l’Égypte, tous les royaumes de l’Asie mineure, et ceux qui sont renfermés entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne, et les autres que j’oublie peut-être, ou que je ne veux pas rapporter, n’ont été durant plusieurs siècles que des provinces romaines. »
  2. A. Le plan des Romains et celui des Goths.
  3. A. Dans les États gothiques, le pouvoir étoit, etc.
    Montesquieu se sert du mot gothique, comme synonyme de germanique.