Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t2.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


que par amour de la couleur locale nous créons un contraste insupportable entre le langage et l’habit.

Les deux imitations de Léonard et de Colardeau n’ont pas été faites dans le même esprit. Léonard a retranché une partie des descriptions et des épisodes, mais dans ce qu’il a conservé il s’est tenu très-près de l’auteur et le traduit souvent de façon heureuse. Il a choisi les mètres les plus variés pour rendre toute la diversité de l’original, et ses rimes alternées ne manquent pas de grâce. Léonard, aujourd’hui fort oublié, fait comprendre comment André Chénier et Alfred de Musset lui-même se rattachent au dernier siècle. Aussi avons-nous cru bien faire en réimprimant cette traduction, qui n’est pas indigne de l’original.

Colardeau, plus célèbre en son temps que Léonard, a étendu et paraphrasé Montesquieu. Trop souvent il lui prête son esprit. Il a, en outre, choisi le grand vers alexandrin qui ajoute à la monotonie de la poésie descriptive. Colardeau tourne les vers presque aussi bien que Voltaire, son modèle[1], mais il y met une solennité qui fatigue. A vrai dire, il prend trop au sérieux ce badinage fait pour un cercle de femmes ; il n’entend pas malice aux délicatesses de l’auteur, et quand le poète nous montre Thémire résistant à son amour et s’écrie en finissant : « Elle m’embrassa ; je reçus ma grâce, hélas, sans espérance de devenir coupable, » Colardeau trouve plus simple de faire succomber la bergère et de terminer le poème par un chapitre d’histoire naturelle.

Pour montrer que le Temple de Gnide est tout au moins un poème en prose, d’Alembert dit dans son Éloge de Montes-

  1. On en peut juger par les vers suivants qui sont à la fin du troisième chant ;


    Tout pays a ses mœurs, tout climat ses usages.
    Chez les peuples divers, policés ou sauvages,
    La décence est soumise aux caprices des lois.
    Partout on l’interprète, on l’exprime à son choix.
    Parmi tant de beautés qu’un même lieu rassemble,
    Air, maintien, tout varie et rien ne se ressemble !
    La pudeur au hasard jette un voile incertain.
    Ici l’épaule est nue, et plus loin c’est le sein ;
    Là, d’un pied découvert si la vertu s’alarme,
    La vertu sans rougir découvre un autre charme.
    Tout suit l’opinion, l’honneur lui cède aussi,
    Et l’on prodigue là ce qu’on refuse ici.