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GRANDEUR ET DÉCADENCE


et cela se voit bien mieux dans ces lettres que dans les discours des historiens : elles sont le chef-d’œuvre de la naïveté de gens unis par une douleur commune et d’un siècle où la fausse politesse n’avait pas mis le mensonge partout ; enfin, on n’y voit point, comme dans la plupart de nos lettres modernes, des gens qui veulent se tromper, mais des amis malheureux qui cherchent à se tout dire.

Il était bien difficile que César pût défendre sa vie la plupart des conjurés[1] étaient de son parti ou avaient été par lui comblés de bienfaits. Et la raison en est bien naturelle : ils avaient trouvé de grands avantages dans sa victoire ; mais plus leur fortune devenait meilleure, plus ils commençaient à avoir part au malheur commun[2], car, à un homme qui n’a rien, il importe assez peu, à certains égards, en quel gouvernement il vive.

De plus, il y avait un certain droit des gens, une opinion établie dans toutes les républiques de Grèce et d’Italie, qui faisait regarder comme un homme vertueux l’assassin de celui qui avait usurpé la souveraine puissance. À Rome, surtout depuis l’expulsion des Rois, la loi était précise, les exemples reçus : la République armait le bras de chaque citoyen, le faisait magistrat pour le moment, et l’avouait pour sa défense[3].

Brutus[4] ose bien dire à ses amis que, quand son père

  1. Décimus Brutus, Caius Casca, Trébonius, Tullius Cimber, Minutius Basillus, étaient amis de César. Appien, De Bello civili, liv. II, ch. CVIII. (M.)
  2. Je ne parle pas des satellites d’un tyran, qui seraient perdus après lui, mais de ses compagnons, dans un gouvernement libre, [M].
  3. Cic. ad. Att., XIX, IV, VI, XII, XIII, XIV. XV, III. Tyrannum, jure optimo, cœsum.
  4. Lettres de Brutus, dans le recueil de celles de Cicéron. (M.) Lettre XVI.