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DES ROMAINS, CHAP. XX.


loi d’une seule femme donna à ce sexe l’empire[1] ; ce qui mit quelquefois de la faiblesse dans le gouvernement.

Le peuple de Constantinople était de tout temps divisé en deux factions : celle des bleus et celle des verts. Elles tiraient leur origine de l’affection que l’on prend dans les théâtres pour de certains acteurs plutôt que pour d’autres : dans les jeux du cirque, les chariots dont les cochers étaient habillés de vert disputaient le prix à ceux qui étaient habillés de bleu, et chacun y prenait intérêt jusqu’à la fureur.

Ces deux factions, répandues dans toutes les villes de l’Empire, étaient plus ou moins furieuses à proportion de la grandeur des villes, c’est-à-dire de l’oisiveté d’une grande partie du peuple.

Mais les divisions, toujours nécessaires dans un gouvernement républicain pour le maintenir, ne pouvaient être que fatales à celui des empereurs[2], parce qu’elles ne produisaient que le changement du Souverain, et non le rétablissement des lois et la cessation des abus.

Justinien, qui favorisa les bleus et refusa toute justice aux verds[3], aigrit les deux factions et, par conséquent, les fortifia.

Elles allèrent jusqu’à anéantir l’autorité des magistrats : les bleus ne craignaient point les lois, parce que l’Empereur les protégeait contre elles ; les verds cessèrent de les

  1. A. Donna à ce sexe l'empire, c'est-à-dire, mit dans le gouvernement une foiblesse naturelle.
  2. Ne pouvoient être que faites à un gouvernement despotique ; parce qu'elles ne pouvoient produire que le changement, etc.
  3. Cette maladie était ancienne. Suétone in Calig., C. LIV., dit que Caligula, attaché à la faction des verds, haïssait le peuple parce qu’il applaudissait à l’autre. (M.)