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GRANDEUR ET DÉCADENCE


respecter, parce qu'elles ne pouvoient plus les défendre[1].

Tous les liens d’amitié, de parenté, de devoir, de reconnaissance, furent ôtés : les familles s’entre-détruisirent ; tout scélérat qui voulut faire un crime fut de la faction des bleus ; tout homme qui fut volé ou assassiné fut de celle des verds.

Un gouvernement si peu sensé était encore plus cruel : l’Empereur, non content de faire à ses sujets une injustice générale en les accablant d’impôts excessifs, les désolait par toutes sortes de tyrannies dans leurs affaires particulières.

Je ne serais point naturellement porté à croire tout ce que Procope nous dit là-dessus dans son Histoire secrète, parce que les éloges magnifiques qu’il a faits de ce prince dans ses autres ouvrages affaiblissent son témoignage dans celui-ci, où il nous le dépeint comme le plus stupide et le plus cruel des tyrans.

Mais j’avoue que deux choses font que je suis pour l’Histoire secrète : la première, c’est qu’elle est mieux liée avec l’étonnante faiblesse où se trouva cet empire à la fin de ce règne et dans les suivants.

L’autre est un monument qui existe encore parmi nous : ce sont les lois de cet empereur, où l’on voit, dans le cours de quelques années, la jurisprudence varier davantage qu’elle n’a fait dans les trois cents dernières années de notre monarchie.

Ces variations sont la plupart sur des choses de si petite importance[2] qu’on ne voit aucune raison qui eût dû porter un législateur à les faire, à moins qu’on n’explique

  1. Pour prendre une idée de l’esprit de ces temps-là, il faut voir Théophanes, qui rapporte une longue conversation qu’il y a eu au théâtre entre les verds et l’empereur. (M.)
  2. Voyez les Novelles de Justinien. (M.)