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DANS LA RELIGION.

Voilà d’où était né cet esprit de tolérance et de douceur qui régnait dans le monde païen : on n’avait garde de se persécuter et de se déchirer les uns les autres ; toutes les religions, toutes les théologies, y étaient également bonnes : les hérésies, les guerres et les disputes de religion y étaient inconnues ; pourvu qu’on allât adorer au temple, chaque citoyen était grand pontife dans sa famille.

Les Romains étaient encore plus tolérants que les Grecs, qui ont toujours gâté tout[1] : chacun sait la malheureuse destinée de Socrate.

Il est vrai que la religion égyptienne fut toujours proscrite à Rome : c’est qu’elle était intolérante, qu’elle voulait régner seule, et s’établir sur les débris des autres ; de manière que l’esprit de douceur et de paix qui régnait chez les Romains fut la véritable cause de la guerre qu’ils lui firent sans relâche. Le sénat ordonna d’abattre les temples des divinités égyptiennes ; et Valère Maxime[2] rapporte, à ce sujet, qu’Émilius Paulus donna les premiers coups, afin d’encourager par son exemple les ouvriers frappés d’une crainte superstitieuse.

Mais les prêtres de Sérapis et d’Isis avaient encore plus de zèle pour établir ces cérémonies qu’on n’en avait à Rome pour les proscrire. Quoique Auguste, au rapport de Dion[3], en eût défendu l’exercice dans Rome, Agrippa, qui commandait dans la ville en son absence, fut obligé de le défendre une seconde fois. On peut voir, dans Tacite et dans Suétone, les fréquents arrêts que le sénat fut obligé de rendre pour bannir ce culte de Rome.

  1. C’est un jugement bien sévère. Montesquieu est revenu à des idées plus justes sur les Grecs.
  2. Liv. I, chap. III, art. 3. (M.)
  3. Dion Cassius, liv. XXXIV. (M.)