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CÉPHISE ET L’AMOUR.


flèche de toute ma force. Mais il se réveillera, lui dis-je. Eh bien ! qu’il se réveille ; que pourra-t-il faire que nous blesser davantage ? Non, non ; laissons-le dormir ; nous resterons auprès de lui ; et nous en serons plus enflammés.

Céphise prit alors des feuilles de myrte et de roses : Je veux, dit-elle, en couvrir l’Amour. Les Jeux et les Ris le chercheront, et ne pourront plus le trouver. Elle les jeta sur lui ; et elle rioit de voir le petit dieu presque enseveli. Mais à quoi m’amusé-je ? dit-elle. Il faut lui couper les ailes, afin qu’il n’y ait plus sur la terre d’hommes volages ; car ce dieu[1] va de cœur en cœur, et porte partout l’inconstance. Elle prit ses ciseaux, s’assit, et tenant d’une main le bout des ailes dorées de l’Amour, je sentis mon cœur frappé de crainte. Arrête, Céphise. Elle ne m’entendit pas. Elle coupa le sommet des ailes de l’Amour, laissa ses ciseaux, et s’enfuit.

Lorsqu’il se fut réveillé, il voulut voler ; il sentit un poids qu’il ne connoissoit pas. Il vit sur les fleurs le bout de ses ailes ; il se mit à pleurer. Jupiter, qui l’aperçut du haut de l’Olympe, lui envoya un nuage qui le porta dans le palais de Gnide, et le posa sur le sein de Vénus. Ma mère, dit-il, je battois de mes ailes sur votre sein ; on me les a coupées : que vais-je devenir[2] ? Mon fils, dit la belle Cypris, ne pleurez point ; restez sur mon sein, ne bougez pas ; la chaleur va les faire renaître. Ne voyez-vous pas qu’elles sont plus grandes ? Embrassez-moi : elles croissent : vous les aurez bientôt comme vous les aviez ; j’en vois déjà le sommet qui se dore : dans un

  1. A. Car le petit dieu.
  2. A. Hé ! que vais-je devenir ?