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CHAPITRE V.

De l’éducation dans le gouvernement républicain.


C’EST dans le gouvernement républicain que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation. La crainte des gouvernemens despotiques naît d’elle-même parmi les menaces & les châtimens ; l’honneur des monarchies est favorisé par les passions, & les favorise à son tour : mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très-pénible.

On peut définir cette vertu, l’amour des loix & de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulieres : elles ne sont que cette préférence.

Cet amour est singuliérement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le gouvernement est confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde ; pour le conserver, il faut l’aimer.

On n’a jamais oui dire que les rois n’aimassent pas la monarchie, & que les despotes haïssent le despotisme.

Tout dépend donc d’établir, dans la république, cet amour ; & c’est à l'inspirer, que l’éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfans puissent l’avoir, il y a un moyen sûr ; c’est que les peres l’aient eux-mêmes.

On est ordinairement le maître de donner à ses enfans ses connoissances ; on l’est encore plus de leur donner ses passions.

Si cela n’arrive pas, c’est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les impressions du dehors.

Ce n’est point le peuple naissant qui dégénere ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déja corrompus.