Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/221

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faire : loi admirable, qui soumettoit le peuple à la censure de la magistrature qu’il respectoit le plus, & à la sienne même !

Il sera bon de mettre quelque lenteur dans des affaires pareilles, sur-tout du moment que l’accusé sera prisonnier ; afin que le peuple puisse se calmer, & juger de sang froid.

Dans les états despotiques, le prince peut juger lui-même. Il ne le peut dans les monarchies ; la constitution seroit détruite : les pouvoirs intermédiaires dépendans, anéantis, on verroit cesser toutes les formalités des jugemens ; la crainte s’empareroit de tous les esprits ; on verroit la pâleur sur tous les visages ; plus de confiance, plus d’honneur, plus d’amour, plus de sûreté, plus de monarchie.

Voici d’autres réflexions. Dans les états monarchiques, le prince est la partie qui poursuit les accusés, & les fait punir ou absoudre : s’il jugeoit lui-même, il seroit le juge & la partie.

Dans ces mêmes états, le prince a souvent les confiscations : s’il jugeoit les crimes, il seroit encore le juge & la partie.

De plus : il perdroit le plus bel attribut de sa souveraineté, qui est celui de faire grace[1]. Il seroit insensé qu’il fît & défît ses jugemens : il ne voudroit pas être en contradiction avec lui-même.

Outre que cela confondroit toutes les idées, on ne sçauroit si un homme seroit absous, ou s’il recevroit sa grace.

Lorsque Louis XIII voulut être juge dans le procès du duc de la Valette[2], & qu’il appella, pour cela, dans son cabinet quelques officiers du parlement & quelques conseillers d’état ; le roi les ayant forcés d’opiner

  1. Platon ne pense pas que les rois, qui sont, dit-il, prêtres, puissent assister au jugement où l’on condamne à la mort, à l’exil, à la prison.
  2. Voyez la relation du procès fait à M. le duc de la Valette. Elle est imprimée dans les mémoires de Montresor, tome II, page 62.