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che, plus son luxe relatif l’enrichit ; & il faut bien se garder d’y faire des loix somptuaires relatives. Nous expliquerons mieux ceci dans le livre sur le commerce[1]. Il n’est ici question que du luxe absolu.


CHAPITRE VI.

Du luxe à la Chine.


Des raisons particulieres demandent des loix somptuaires dans quelques états. Le peuple, par la force du climat, peut devenir si nombreux, & d’un autre côté les moyens de le faire subsister peuvent être si incertains, qu’il est bon de l’appliquer tout entier à la culture des terres. Dans ces états, le luxe est dangereux, & les loix somptuaires y doivent être rigoureuses. Ainsi, pour sçavoir s’il faut encourager le luxe ou le proscrire, on doit d’abord jetter les yeux sur le rapport qu’il y a entre le nombre du peuple, & la facilité de le faire vivre. En Angleterre, le sol produit beaucoup plus de grains qu’il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres, & ceux qui procurent les vêtemens : il peut donc y avoir des arts frivoles, & par conséquent du luxe. En France, il croît allez de bled pour la nourriture des laboureurs, & de ceux qui sont employés aux manufactures : de plus, le commerce avec les étrangers peut rendre, pour des choses frivoles, tant de choses nécessaires, qu’on n’y doit gueres craindre le luxe.

A la Chine, au contraire, les femmes sont si fécondes, & l’espece humaine s’y multiplie à un tel point, que les terres, quelque cultivées qu’elles soient, suffisent à peine pour la nourriture des habitans. Le luxe y est donc pernicieux, & l’esprit de travail & d’éco-

  1. Voyez tom. II, liv. XX. chap. XX.