Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/273

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citoyens se soulevoit[1], mettoit en fuite les magistrats, & les obligeoit de rentrer dans la condition privée. Cela étoit censé fait en conséquence de la loi. Une institution pareille, qui établissoit la sédition pour empêcher l’abus du pouvoir, sembloit devoir renverser quelque république que ce fût. Elle ne détruisit pas celle de Crete : voici pourquoi[2].

Lorsque les anciens vouloient parler d’un peuple qui avoit le plus grand amour pour la patrie, ils citoient les Crétois : La patrie, disoit Platon[3], nom si tendre aux Crétois. Ils l’appelloient d’un nom qui exprime l’amour d’une mere pour ses enfans[4]. Or, l’amour de la patrie corrige tout.

Les loix de Pologne ont aussi leur insurrection. Mais les inconvéniens qui en résultent font bien voir que le seul peuple de Crete étoit en état d’employer, avec succès, un pareil remede.

Les exercices de la gymnastique, établis chez les Grecs, ne dépendirent pas moins de la bonté du principe du gouvernement. "Ce furent les Lacédémoniens & les Crétois, dit Platon[5], qui ouvrirent ces académies fameuses qui leur firent tenir dans le monde un rang si distingué. La pudeur s’allarma d’abord : mais elle céda à l’utilité publique." Du temps de Platon, ces institutions étoient admirables[6] ; elles se rapportoient à

  1. Aristote, polit. liv. II, chap. X.
  2. On se réunissoit toujours d’abord contre les ennemis du dehors, ce qui s’appelloit syncrétisme. Plutarque, Moral. p. 88.
  3. Républiq. liv. IX.
  4. Plutarqne, Morales, au traité, si l’homme d’âge doit se mêler des affaires publiques.
  5. Républiq. liv. V.
  6. La gymnastique se divisoit en deux parties, la danse & la lutte. On voyoit, en Crete, les danses armées des Curettes ; à Lacédémone, celles de Castor & de Pollux ; à Athenes, les danses armées de Pallas, très-propres pour ceux qui ne sont pas encore en âge d’aller à la guerre. La lutte est l’image de la guerre, dit Platon, des loix, liv. VII. Il loue l’antiquité, de n’avoir établi que deux danses, la pacifique & la pyrrhique. Voyez comment cette derniere danse s’appliquoit à l’art militaire. Platon, ibid.