Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 2.djvu/127

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à dieu une maison, où ils puissent l’adorer, & l’aller chercher dans leurs craintes ou leurs espérances.

En effet, rien n’est plus consolant pour les hommes qu’un lieu où ils trouvent la divinité plus présente, & où tous ensemble, ils font parler leur foiblesse & leur misere.

Mais cette idée si naturelle ne vient qu’aux peuples qui cultivent les terres ; & on ne verra pas bâtir de temple chez ceux qui n’ont pas de maisons eux-mêmes.

C’est ce qui fit que Gengis-kan marqua un si grand mépris pour les mosquées[1]. Ce prince[2] interrogea les mahométans ; il approuva tous leurs dogmes, excepté celui qui porte la nécessité d’aller à la Mecque ; il ne pouvoir comprendre qu’on ne pût pas adorer dieu par-tout. Les Tartares n’habitant point de maison, ne connoissoient point de temples.

Les peuples qui n’ont point de temples ont peu d’attachement pour leur religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tout temps si tolérans[3] ; pourquoi les peuples barbares, qui conquirent l’empire Romain, ne balancèrent pas un moment à embrasser le christianisme ; pourquoi les sauvages de l’Amérique sont si peu attachés à leur propre religion ; & pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguai des églises, ils sont si fort zélés pour la nôtre.

Comme la divinité est le refuge des malheureux, & qu’il n’y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penser que les temples étoient un asyle pour eux ; & cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur ville & de la présence des hommes, sembloient n’avoir plus de maisons que les temples, ni d’autres protecteurs que les dieux.

  1. En entrant dans la mosquée de Buchara, il enleva l’alcoran, & le jetta sous les pieds de ses chevaux : histoire des Tattars, part. III, pag. 273.
  2. Ibid. pag. 342.
  3. Cette disposition d’esprit a passé jusqu’aux Japonois, qui tirent leur origine des Tartares, comme il est aisé de le prouver.