Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il a peu de vices qui partent d’un mauvais naturel ; ses vertus ne partent pas toutes d’un bon.

Auprès de lui, tout le privilège de la vertu est qu’elle ne nuit pas.

Il sait bien qu’il est au-dessus des autres hommes ; 5 mais il ne le sent pas assez. Voilà pourquoi il n’y a point de génie qui ne puisse trouver l’art de le conduire.

Il ne connoît point cette distance infinie qu’il y a entre l’honnête homme et le méchant, et tous 10 les différents degrés qui sont entre ces deux extrémités.

Il a une facilité de mœurs et de commandement qui charme tous ceux qui lui obéissent.

Personne n’a porté si loin la domination ; mais il i5 ne l’a point fait sentir à proportion de sa pesanteur.

Il voit les hommes en détail différemment de ce qu’il les voit au milieu de la société.

Il a une indifférence pour les événements qui ne convient qu’à ceux que le Ciel n’a pas fait naître 20 pour les déterminer.

Il fait, en se jouant, le travail des politiques ; il rencontre tout ce qu’ils avoient réfléchi, et ses saillies sont aussi sensées que leurs méditations.

Il fait de son esprit ce que les autres font de leur a5 sens. Il gouverne toute la Grèce sans paroître, sans penser même à la gouverner, et tout le monde suit l’ordre de ses desseins, comme si on suivoit le torrent de sa puissance.

Il réussit bien moins dans le gouvernement de 30 l’intérieur de son royaume, et, pendant qu’il traite