Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/26

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nature le portait à suivre une méthode plus libre et plus dégagée. Non content d’éviter les transitions dans ses grands ouvrages, il se plaisait à couper encore les petits en morceaux.

Le portrait du Régent qu’il a esquissé dans les cinq Lettres de Xénocrate à Phérès n’en formait qu’une à l’origine.

Dans l’Esprit des Lois, il avait, d’abord, expliqué pourquoi il y insérait les livres XXVII et XXVIII. Il se ravisa ensuite, jugeant inutile de le dire. Ne s’imaginait-il point que, ce qu’il voyait clairement, lecteurs et critiques s’en rendraient compte de même1? Illusion étrange, mais touchante! Elle était bien digne du génie qui se disait: « Il y a ordinairement si peu de différence d’homme à homme, qu’il n’y a guère sujet d’avoir de la vanitéa. »

Mais d’où pouvait lui venir sa haine des transitions et des expositions bien liées?

Il avait pour le pédantisme une aversion instinctive et réfléchie. Ennemi d’un sot orgueil, il voulut, sans doute, ressembler le moins possible aux cuistres de son temps, pauvres hères jugeant le Monde du sommet des minuties qu’ils savaient peut-être. C’est pourquoi il s’écarta avec soin, mais non sans excès, des procédés didactiques qui leur étaient habituels.

De plus, il sentait probablement qu’une prose très concise doit être très coupée, sous peine de fatiguer les lecteurs.

Quoi qu’il en soit, Montesquieu a fait, en ces termes, sa profession de foi littéraire:

« Pour bien écrire, il faut sauter les idées intermédiaires: assez, pour n’être pas ennuyeux; pas trop, de peur de n’être pas entendu. Ce sont ces suppressions heureuses

i. Pensées (manuscrites), tome III, folio 4 v».

2. Pensées (manuscrites), tome III, folio 343.