Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/403

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seul : rien ne retranchant plus les difficultés que la puissance.

Monsieur entroit toujours dans les affaires avec l’inquiétude d’en sortir. Il entreprenoit contre le Cardinal et se conduisoit de façon qu’il ne lui 5 montroit que de vaines inimitiés. Il ne savoit être innocent ni coupable ; il croyoit ne perdre rien en ne perdant que ses serviteurs ; il ne portoit dans les partis où il entroit, que ses craintes et un esprit tantôt susceptible de toutes les impressions, tantôt 10 susceptible d’aucunes1.

Richelieu, homme privé qui avoit plus d’ambition que tous les monarques du Monde. Il ne regardoit les peuples et les roix que comme des instruments de sa fortune ; il faisoit la guerre moins contre les i5 ennemis que contre les intrigues de la paix. La France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière, tout l’Univers n’étoit pour lui qu’un théâtre propre à signaler son ambition, s,a haine ou (?) sa vengeance. 20

Il gouverna comme maître, et non pas comme ministre : c’étoit régner que de gouverner comme lui. Il augmentoit l’autorité royale, non par flatterie, non par attachement, mais par ambition. Il faisoit des esclaves pour en jouir ; il forçoit par ses mauvais" traitements les princes du sang au ressentiment et en tiroit avantage. Il étoit jaloux même de son maître et usurpoit sur lui cette autorité qu’il lui

1. Voyez Mémoires de Montrésor, tome I, page 162 ; lettres de Monsieur, du Roi et du Cardinal.