Page:Moréas - Esquisses et Souvenirs, 1908.djvu/122

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cine, et malgré le ton languissant de ses pièces, il conserve encore beaucoup d’intérêt, du moins au point de vue historique. Dans ses préfaces, si curieuses, il ne manque pas d’écrire sur les tragiques athéniens plus d’une sottise, mais il est clair qu’il a le sentiment et le goût de leur art. Certes, il est plus près des Grecs que son détracteur l’Allemand Lessing, et même que son compatriote Diderot. La plus fine remarque de Nietzsche sur Voltaire est celle-ci : il a été un des derniers hommes qui savent réunir en eux la plus haute liberté d’esprit et une disposition d’esprit absolument non-révolutionnaire. Oui, Voltaire était un esprit libre, et il n’était pas libertaire. Je vois à présent pourquoi, malgré mille répugnances, j’ai toujours été attiré par lui.

La vie artistique de Gœthe, telle que Nietzsche la dépeint, est un exemple, une raison de désespérer, et une consolation à la fois. Sa fameuse sérénité a quelque rapport avec le prétendu égoïsme de La Fontaine. Les conclusions morales, si dures parfois, du fabuliste ne sont qu’une sensibilité violente, mais éclairée, qui se tourne en dérision elle-même et se met à philosopher. Quant à Gœthe, faites attention que s’il fixe sur le monde un regard calme, c’est avec l’expression la plus triste et la plus passionnée.