Page:Moréas - Esquisses et Souvenirs, 1908.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheur au poète qui naît dans un de ces moments équivoques où la tradition de l’art est devenue caduque, où il est nécessaire de renverser l’ordre pour chercher ensuite à le rétablir sur une base plus solide. Il est possible que la gloire de ce poète devienne enviable, mais sa vie est empoisonnée a jamais.

L’auteur de Faust naquit dans un de ces moments misérables où le vrai talent, pour être fécond, est condamné à se livrer à mille folies. Il en fut comme ébloui tout d’abord, et prit, sans songer, toutes les mauvaises occurrences du destin, pour un présent du ciel. Il lui était d’autant plus facile de s’abuser que l’odieuse ivraie montait sous ses pas pareille au blé mûrissant. Il alla ainsi tout le long de ses jeunes ans jusqu’au seuil de la vieillesse. Là, un soupçon le saisit et il jeta ses regards douloureux sur les belles ruines qu’il avait aidé à faire autour de lui. Alors il mit à les réédifier tout son amour, et ses dernières forces, encore très nerveuses. De sveltes colonnes se dressèrent bientôt dans l’azur de l’art, mais le temple demeura mutilé et ses débris continuent à écraser le chœur des Muses.